[Société] 93 mon ADN. Partir, rester. Deux choix, deux responsabilités

Pour inaugurer la rubrique « société » de ce blog, un dilemme personnel et d’actualité s’est imposé à moi. Sur le même thème, il aurait pu parler d’autres contrées, car bien entendu, la Seine Saint Denis n’est pas un cas isolé. Histoire personnelle et contexte analysé, voici les Audiences Consolidées.

Le 93, j’y suis né. Ma sœur, mes parents également. Mieux encore, ma grand-mère qui en 1925 nous avait précédé. Le label « AOC » je l’ai certifié.

Le 93, j’y suis né, j’y ai toujours vécu. Le premier acte m’a été imposé, mais le second est un choix personnel, un vrai. Celui de rester proche des terres où je me suis construit. Le besoin de rester là où ma personnalité et mon caractère se sont forgés et révélés.

De la crèche au collège, le 93, je m’y suis formé. Ou déformé dans mon cas précis.

Le 93, je m’y suis perdu, je m’y suis aussi battu. Aux sens propre comme aux figuré. Défiguré parfois…

Plus tard et alors étudiant, le 93 j’y ai travaillé. Animateur en centre de loisirs, moniteur sportif, ou au sein d’associations de soutien scolaire implantées dans les rares cités HLM de ma ville. Certaines de mes plus belles années à animer, encadrer et accompagner la relève de ma terre originelle. Un bonheur intense qui me confortait dans l’idée que notre jeunesse était belle et méritait ce qu’il y avait de plus beau, comme tous les autres.

Le 93 je m’y suis construit. L’esprit de compétition, le sens de la répartie. Le goût de la punchline et de la vanne, sport national ici. La rencontre avec le sport, les salles de boxe, les dojos, les frères d’armes. Ceux qui blessent les chairs mais soignent les cœurs.

Et puis mes amis. Comblé d’être « le petit frère de ma grande sœur », la vie m’a également offert des « frères d’une autre mère ». Pour toujours. J’ai pourtant beaucoup voyagé autour de l’hexagone. Et si des amitiés sont toujours nées de ces voyages, et de précieuses attaches tissées du côté de l’île de beauté, aucune n’aurait pu remplacer celles qui me lie à mes frères « d’origine ».

Le 93, je l’ai représenté. Pas un de mes voyages sans que les autochtones n’ait su d’où je venais. Comme une nécessité, l’idée de casser les clichés et valoriser « notre » image m’a toujours obsédé.

Le 93, je m’y suis impliqué. Contribuable, propriétaire, dirigeant d’association, manager de talents ou comme électeur, il y a peu de temps, son avenir, j’y croyais encore.

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Et puis, un matin d’automne, je suis devenu père. Mon plus précieux trésor né comme moi en octobre et dans l’hôpital qui accueilli mon arrivée sur Terre 30 ans plus tôt. Pas vraiment un hasard…
J’avais imaginé mon enfant grandir dans le même univers que le mien, puisse-t-il profiter des codes et des valeurs que peuvent parfois révéler nos vies de quartiers. Combativité, ouverture aux autres et fierté.

Mais ce que la paternité vous apporte en amour, au sens le plus puissant du terme, elle vous l’impose également en lucidité vis-à-vis du monde et de ses dangers.

D’un coup, des souvenirs de faits divers, vécus directement ou non, me sont revenus en double lecture. De mon point de vue, je réside dans un quartier pavillonnaire paisible et où il fait encore la plupart du temps bon vivre.

Pourtant, c’est bien en face de ma maison, à moins de 5 mètres donc, que des travailleurs clandestins hébergés par un vendeur de sommeil, sont morts asphyxiés il y a quelques mois. C’est également à 200 mètres de mon domicile, qu’un couple de restaurateurs a été attaqué et la femme assassinée à coups de marteau. Partez 150 mètres à gauche et vous croiserez les mitraillettes de militaires, postés 7/7 pour sécuriser une école religieuse. Marchez une minute à pieds tout droit, et la nationale 3 raisonne encore des détonations d’un échange de tirs en plein air, entre les policiers et un forcené.

Voilà pour le voisinage proche. Il serait trop long d’évoquer les problèmes d’armes à l’école, d’enlèvement, de séquestration ou de maltraitance à quelques rues de là.

Le temps d’une rapide promenade et mon quartier m’est apparu différent, et moins propice à préparer l’avenir de mon enfant avec sérénité.

Un autre point que je ne peux cacher : apprendre qu’une grande partie des terroristes des attentats parisiens ait été abritée à quelques kilomètres de chez moi, là même où mes amis, mes semblables, mêmes inconnus, vivent au quotidien. Lourd de sens, lourd de sang.

Inculquer les valeurs « naturelles » qu’implique la vie au sein d’un département aussi complexe que le 93, j’en rêvais.

Mais de quelles valeurs parlons-nous aujourd’hui ? Celles qui m’ont toujours fasciné et souvent même ému s’appelaient mixité, principe de réalité, solidarité et identité. Le temps passe et les mots avec. Communautarisme, méfiance, misère et individualisme sont venus les remplacer. Non par choix, ni par mauvaise volonté, tout ça nous est imposé.

Bien entendu des exemples de réussite existent et de nombreux parcours, méritent la lumière. Mais à quel prix ? Combien d’étapes ceux-là ont-ils du remporter pour avoir le simple droit de participer à la course finale ? Un chemin de croix pour eux, un simple point de départ pour les autres.

Certes la victoire est plus belle lorsque lorsqu’elle est acquise dans la douleur. Mais je laisse cela aux fictions et aux raconteurs. L’avenir ne se joue pas sur un story board. L’égalité des chances ici n’est qu’une rumeur.

DEUX GRANDES PENSÉES S’AFFRONTENT. DEUX CHOIX DE VIE, DEUX PHILOSOPHIES

Participer à l’équilibre social de la ville d’une vie, ou se déraciner vers un lieu de vie « étranger » mais sécurisé. Quelque part, s’embourgeoiser. Grandir dans des conditions sociétales dégradées ou se renier en partie chez les plus favorisés ?

Des interrogations, des doutes mais pour moi une certitude : celle des coupables.
La faute aux habitants de notre 93 qui ont engendré la dégradation du département ? Mille fois non. Si la grande majorité des habitants du département n’avaient pas eu cet esprit solidaire et tant de dignité, la situation serait bien pire encore. Et je ne parle pas du rôle stratégique des milliers d’associations qui, à la force de leur âme, parviennent souvent à rattraper ceux qui semblaient déjà perdus. Mais la lassitude est humaine, et la résignation son alliée.

La faute à nos élus locaux ? Je ne pense pas non plus. Et bien que, pur avis personnel, j’ai pu juger certains choix du premier administré de ma ville comme arbitraires, sa gestion économique et sociale me semble adaptée et cohérente dans un tel contexte.

LA FAUTE A QUI ALORS ?

La faute à ceux qui ont fait le choix de ne pas se mélanger, créant alors les logiques de communautés. La faute à ceux qui décidèrent de bloquer l’entrée de leurs villes aux familles modestes par la voie de coûts d’acquisition ou de loyers hors de portée. Ils auraient envisagé ces familles modestes comme des potentiels ou des talents, nous ne parlerions peut être pas de cela à présent.

La faute à ceux qui, pour consolider leurs acquis, fortunes personnelles et réseaux compris, ont fait le choix de la séparation et des ghettos. Ghettos à riches et ghettos à pauvres, leurs solutions ne rimeront jamais avec union.

ILS ONT TOUT RATE. OU TOUT RÉUSSI, C’EST SELON

De la solidarité plein la bouche et pas un échantillon sur eux aurait dit Coluche.

Hypothéqué surtout l’avenir de plusieurs générations, qui, habituées à la dureté, en ont fait un mode de vie. Faute d’exemples massifs de success story, nombreux sont restés là où d’autres les voulaient. Sur leurs terres et surtout loin de ceux qui avaient décidés pour eux.

Les décideurs ont également gâché, mais c’est à moindre frais, l’opportunité d’offrir à leurs enfants une vision plus réelle et enrichissante du monde. Celle où l’on ne peut pas avoir peur de l’autre puisqu’on a grandi avec. L’autre est donc un semblable, un ami, un frère, ou un inconnu sans doute, mais qu’on a finalement déjà vu. Déterminante différence non ?

Au gré de ce récit la solution m’apparaît. Et comme l’enjeu l’emportera toujours sur les principes… Partir, rester. Deux choix, deux responsabilités… Faites vos jeux.

Quoi qu’il en soit, le département continuera de briller, par instants ou par endroit. Certaines choses sont incroyables, et, c’est heureux,  ne changeront pas.

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